Orphelins de la république : Préface de Jacques Lecomte aux édition La Boite à Pandore,
À l’heure où les politiques et l’opinion publique s’inquiètent du terrorisme islamiste, et où les méthodes de déradicalisation s’essoufflent, Alain Ruffion nous offre une perspective résolument novatrice, s’appuyant sur les connaissances contemporaines en psychologie positive. L’auteur montre tout d’abord l’insuffisance des modèles explicatifs unilatéraux, qui se basent sur une « personnalité terroriste » ou sur les conditions sociales (exclusion, pauvreté), et plaide pour une conception interactionniste. C’est en croisant les connaissances sur les individus, leur environnement et la société globale que l’on peut le mieux comprendre et déjouer les pièges de la radicalisation.
Pour l’auteur, les individus radicalisés ne sont pas des « irrécupérables », contrairement à ce que pensent certains. Il s’efforce donc de décortiquer les mécanismes conduisant à ce comportement, s’appuyant notamment sur des travaux antérieurs montrant qu’un nombre important de ces jeunes sont initialement motivés par une recherche d’idéal, par exemple le désir de défendre les plus faibles contre les plus forts. Dès lors, c’est en comprenant leurs aspirations profondes et leurs besoins fondamentaux que l’on pourra le mieux les aider à construire des idéaux sains pour la société.
L’originalité de l’auteur se révèle essentiellement dans les solutions préconisées qui s’appuient sur les connaissances contemporaines en psychologie positive, laquelle concerne les trois niveaux de l’être humain que je viens de citer : l’individu, le groupe, la société globale. De multiples recherches scientifiques ont montré la pertinence de cette approche auprès de personnes dépressives ou violentes. Dans la droite ligne de la psychologie positive, Alain Ruffion affirme qu’une politique de prévention efficace ne se contente pas de contrecarrer un phénomène en endiguant les facteurs de risque, mais s’efforce de développer des compétences pour développer le bien-être individuel durable, la coopération et les engagements positifs pour la société. Il préconise donc :
- au niveau individuel, de mettre l’accent sur les besoins universels de l’être humain, qu’il s’agisse de sécurité, de bienveillance, d’empathie, de communication, de considération, etc. ;
- au niveau relationnel, de mobiliser les acteurs de première ligne dont les parents, en faisant notamment appel aux vertus de l’éducation positive ;
- au niveau sociétal, de s’appuyer sur les connaissances relatives à la responsabilité et à la résilience collectives. Le but n’est évidemment pas que les individus concernés soient des réceptacles passifs des actions menées, mais qu’ils soient des participants impliqués, en les encourageant à se préoccuper des autres et à participer à des activités civiques.
Pour l’auteur, « les compétences psycho-sociales sont vraiment le cheval de bataille sur lequel nous devons miser massivement ». Alain Ruffion n’est pas un théoricien abstrait préconisant des mesures depuis son bureau. Directement engagé sur le terrain, il est l’un des pionniers français de la médiation sociale et interculturelle. Il a récemment conçu, avec les universitaires Ilona Boniwell et Aneta Tunariu, le programme « Dialogues existentiels et philosophiques », qui vise à prévenir le risque de radicalisation des jeunes. L’objectif est de fournir un cadre de questionnement afin de déstabiliser les croyances et systèmes de valeur extrémistes, tout en offrant des perspectives positives pour le futur.