Venez découvrir ici la suite de la préface de Boris Cyrulnic pour l’ouvrage “ Méthodes d’intervention en prévention des radicalisations ”, écrit par Alain Ruffion et publié aux éditions La Boite à Pandore.
La pensée binaire qui donne les certitudes disparaît chez les enfants avec l’expérience de la vie, dès l’âge de 7-8 ans quand ils découvrent que d’autres vérités, d’autres visions du monde peuvent aussi exister. La mémoire traumatique, elle, reste prisonnière du passé et certains groupes humains s’en servent pour déterrer la hache de guerre. On a tous de bonnes raisons de tuer celui qui nous a nui dans le passé : les Arabes devraient prendre les armes contre les chrétiens qui les ont agressés pendant leurs croisades répétées ; les protestants ont toutes les raisons de se venger des catholiques qui les ont persécutés ; les musulmans se font la guerre depuis la mort du Prophète pour des raisons de filiation ou d’interprétations différentes des textes sacrés ; et les femmes devraient assassiner les hommes qui les ont entravées pendant des millénaires. En fait, le mot « radical » a dérivé vers la signification « absolument vrai ou totalement faux », ce qui revient à dire que ceux qui pensent comme moi sont dans la Vérité totale, alors que ceux qui pensent autrement sont des mécréants, dans l’erreur totale.
Le moindre désaccord angoisse les âmes rigides qui ne sont pas assez fortes pour être souples, ouvertes et capables d’accepter qu’on puisse penser différemment. Il s’agit en fait d’une pensée absolue qui ne supporte aucune divergence. Or, toute théorie qui se prétend totalement explicative est une théorie totalitaire. Qu’elle soit religieuse, idéologique ou scientifique, la pensée de celui qui prétend détenir toute la vérité, la seule vérité, mène au totalitarisme. C’est pourquoi il n’est pas rare qu’un peuple dans la brume se laisse éclairer par un penseur catégorique et vote pour un dictateur, en croyant qu’il s’agit d’un Sauveur. Les « radicalisés » nous fascinent comme nous fascinent les incendies, les éruptions de volcans et les pervers. Tout ce qui est extrême crée une sensation d’événement qui nous sort de la routine de nos existences. Enlevez le malheur de l’existence humaine et vous supprimerez la plupart des créations artistiques : les romans, les films, les essais politiques ou psychologiques qui nous réveillent et nous mettent l’âme en feu. Cet instant de bonheur qui ne tient pas compte de l’existence de l’Autre mène au malheur de détruire sans aucune culpabilité ceux qui ne croient pas comme nous.
Le flot d’argent qui coule dans les poches des milices religieuses ou étatiques permet à d’excellents éducateurs d’apprendre les métiers de la guerre asymétrique (le terrorisme), à des jeunes gens largués par leur culture. Cet argent permet à d’excellents enseignants de venir dans de belles écoles privées enseigner la grammaire, les mathématiques et le fanatisme, dès la maternelle. Cet argent permet à d’excellents journalistes, somptueusement payés dans des studios luxueux où d’excellents informaticiens fabriquent des sujets d’actualités, sous forme de vidéos qu’ils envoient à toutes les télévisions du monde. C’est pour des raisons politiques que cet argent est donné à ces fauteurs de guerre.
L’argent américain est versé aux pays du Proche-Orient, afin qu’ils ne soient pas financés uniquement par les Émirats qui finiraient par imposer leur conception de la vie en société. L’argent de l’ONU sauve des millions de Syriens dans des camps de toile blanche où les gourous de toutes les sectes, les recruteurs de toutes les milices, et les chasseurs de femmes à prostituer viennent faire leur marché. L’argent français a été nécessaire pour construire les belles universités libanaises et palestiniennes où l’on enseigne aussi la haine du voisin. L’argent des Émirats, l’argent du pétrole où les ingénieurs et les ouvriers reçoivent des salaires stupéfiants, l’argent de la drogue envoyée en Occident afin de l’affaiblir, l’argent nécessairement donné aux Palestiniens afin qu’ils ne meurent pas tous, les oblige à survivre dans des camps délabrés d’où ils ne peuvent pas sortir, puisqu’ils sont encerclés par des soldats armés des « pays d’accueil ». Ces phénomènes de radicalisation ne surgissent pas dans n’importe quel contexte social et culturel. La pensée radicale qui mène à la haine de l’Autre ne pousse que dans les déserts de sens…
Rejoignez-nous la semaine prochaine pour découvrir la fin de cette préface écrite pour l’occasion de la publication du livre d’Alain Ruffion.